06Complète ce dialogue entre un policier et un suspect au prétérit. a. What did you do last night? - 1 anything. I stayed at home. b. you alone? - No, my wife was with me. c. What time did you go to bed? - to bed at around ten. Pouvez vous m’aider svp d. Did you go to the bank? - No, to the bank. e. steal the money? - No, I didn't steal anything!
BANGUI – Un jeune musulman supposé proche de la rébellion centrafricaine a été tué dans la nuit de lundi à mardi, et un policier est mort au cours d’affrontements qui ont suivi mardi dans un quartier populaire de Bangui, selon une source policière. Les forces de défense et de sécurité … ont appréhendé dans la nuit du 31 au 1er au quartier PK 5 un individu jugé suspect supposé lié aux rébellions. Au moment de le conduire au commissariat central, il a sauté du véhicule. Dans la course poursuite qui a suivi il a été abattu a affirmé la source, ajoutant qu’au cours des affrontements de mardi matin un policier est mort. Depuis ce matin, le quartier populaire et commerçant du PK 5 est en ébullition; Un élément des forces de défense et de sécurité à même été tué. Tous les magasins, boutiques et échoppes sont fermés et la tension est vive a ajouté la source. La coalition rebelle du Séléka, qui a pris les armes depuis le 10 décembre et qui menace à présent Bangui, a régulièrement dénoncé ces derniers jours les exactions commises par le pouvoir contre les familles et proches de la rébellion. Nous en appelons aux forces africaines de maintien de la paix pour qu’elles interviennent immédiatement dans la capitale pour faire cesser les exactions et assassinats de prisonniers, ou qu’elles ne nous empêchent pas de le faire avait déclaré lundi le porte parole du Séléka, Eric Massi. Un communiqué de la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale a demandait lundi la fin des arrestations des personnalités politiques ou des parents et supposés partisans des insurgés. La rébellion est majoritairement composée de populations du nord et on peut penser qu’il y a beaucoup de musulmans dans leurs rangs, expliquait à l’AFP lundi un spécialiste des conflits en Afrique centrale du CNRS Roland Marchal, soulignant ainsi l’amalgame fait entre rebelles et musulmans. Les populations du nord sont très éloignées de la culture de Bangui, par exemple ils ne parlent pas le Sango la langue nationale, et les Banguissois les considérent comme des étrangers, a ajouté M. Marchal. Les sources de financement sont inquiétantes. Ce sont les mêmes qui ont financé les rébellions en Libye, en Tunisie au Mali, avait affirmé à l’AFP le ministre de l’administration du territoire Josué Binoua, sous entendant l’implication de groupes musulmans au sein de la rébellion. Ce quartier du PK 5 a déjà été le théâtre de heurts entre communautés chrétiennes et musulmanes ces dernières années, et la progression vers Bangui de la rébellion, souvent qualifiée d’étrangère par le pouvoir, risque de raviver les tensions entre les communautés.. ©AFP / 01 janvier 2013 17h36
Koumanovo(MacĂ©doine) - DrĂ´le de dĂ©cor pour une histoire d'amour: dĂ©but 2016, Noora Arkavazi est malade, anonyme parmi la cohorte de rĂ©fugiĂ©s bloquĂ©e dans la boue d'un poste-frontière parRĂ©sumĂ© Index Plan Texte Notes Citation Auteur RĂ©sumĂ©s La critique a dĂ©crit la proximitĂ© qui existait entre l’historien et le dĂ©tective privĂ© Ă une Ă©poque oĂą les romans Ă Ă©nigme acclimatĂ©s dans des dĂ©cors historiques sont devenus un genre Ă part entière. Elle a Ă©galement dĂ©montrĂ© les similitudes des constructions narratives de l’Histoire et de la fiction. Cependant, les relations complexes qu’entretiennent l’une et l’autre ne se limitent ni Ă ces analogies, ni au fait que l’histoire serve de cadre Ă la fiction. Dans le cas du roman policier latino-amĂ©ricain – argentin en particulier – nombreux sont en effet les Ă©crivains qui interrogent l’histoire rĂ©cente dans ses manifestations criminelles au moyen du tĂ©moignage. Il existe donc une modalitĂ© propre Ă la littĂ©rature latino-amĂ©ricaine le rĂ©cit de conjuration. Grâce Ă lui, le genre policier acquiert un ton particulier, l’idĂ©ologie et le souci collectif glissant vers le premier plan alors qu’il n’était qu’une toile de fond discrète dans le roman policier anglo-saxon traditionnel. La crĂtica ha descrito la proximidad que existĂa entre el historiador y el detective privado en una Ă©poca en la que las novelas de enigma se aclimataban a los decorados histĂłricos, llegando a ser plenamente un gĂ©nero reconocido. Ella, la crĂtica, ha demostrado igualmente las similitudes de las construcciones narrativas de la Historia y de la ficciĂłn. No obstante las relaciones complejas que mantienen, la una con respecto a la otra, no se limitan ni a esas analogĂas, ni al hecho que la historia sirva de cuadro a la ficciĂłn. En el caso de la novela policial latinoamericana – argentina, en particular – son numerosos los escritores que interrogan la Historia reciente en sus manifestaciones criminales por medio del testimonio. Existe, pues, una modalidad propia a la literatura latinoamericana la narraciĂłn de la conjuraciĂłn. Gracias a ella, el gĂ©nero policial adquiere un tono particular en que la ideologĂa y la preocupaciĂłn por lo colectivo se deslizan hacia el primer plano de la narraciĂłn, cuando no era sino una discreta tela de fondo en la novela policial anglo-sajona de page EntrĂ©es d’index Index chronologique XXeHaut de page Texte intĂ©gral 1Qu’il s’agisse de fictions ou d’histoires vraies, certaines des meilleures ventes de librairie, y compris en AmĂ©rique Latine, sont Ă mettre au crĂ©dit des genres policier et historique. La rencontre de ces catĂ©gories dans le succès se double parfois d’une rencontre dans le texte. Le nom de la rose d’Umberto Eco, qui reprenait une recette Ă©prouvĂ©e par Ellis Peters, crĂ©atrice de Cadfael, a consacrĂ© un rĂ©cit d’enquĂŞte oĂą l’érudition historique bonifie le jeu intellectuel offert au lecteur. En suivant d’autres voies et en raison d’inquiĂ©tudes qui leur sont propres, les Ă©crivains argentins se sont plutĂ´t penchĂ©s sur l’histoire rĂ©cente, douloureuse, Ă laquelle ils se rĂ©fèrent souvent en termes testimoniaux Rolo Diez ne manquera pas ainsi de produire des textes – tel son rĂ©cent Papel picado 2003 – nourris Ă l’expĂ©rience autobiographique ; de mĂŞme, Recuerdo de la muerte 1984 de Miguel Bonasso Ă©lève au rang d’archĂ©type ces rĂ©cits Ă caractère policier basĂ©s sur des Ă©vĂ©nements politiques vĂ©cus par l’auteur. Enfin, cas extrĂŞmes, lorsque Ricardo Piglia et NĂ©stor Ponce font remonter – dans RespiraciĂłn artificial 1980 et La bestia de las diagonales 1999 – le rĂ©cit jusqu’au XIXe siècle, c’est en rĂ©alitĂ© afin d’interroger les origines de la nation dans un souci non dissimulĂ© de comprendre le prĂ©sent. Histoire et roman policier similitudes et combinaisons 1 Propos recueillis par François GuĂ©rif, Magazine littĂ©raire, n° 344, juin 1996, pp. 53-54. 2 Voir Claude LĂ©vi-Strauss, La pensĂ©e sauvage, Paris, Librairie Plon, 1985, pp. 306-307 et Roland B ... 2Si l’on pose d’abord la modalitĂ© discursive produite par chacun de ces genres – l’historique et le policier – en regard l’une de l’autre, on constate que le travail de l’historien et celui du dĂ©tective concordent, tout deux Ă©tant des enquĂŞteurs qui soumettent le passĂ© Ă la question afin de trouver des responsables aux dĂ©sastres soufferts. Paco Ignacio Taibo II rappelait en 1996 que l’historien est, par essence, un dĂ©tective privĂ© amateur »1. Les structuralistes ont Ă©galement mis en lumière les analogies imposĂ©es par la narration au dire de la fiction et au dire de l’Histoire2. La similitude entre les deux catĂ©gories provient donc Ă la fois de leur caractère hermĂ©neutique et de leur système d’organisation discursive. Cette correspondance admise, il ne paraĂ®t plus douteux qu’Histoire et Ă©nigme criminelle puissent ĂŞtre associĂ©es ; mais rĂ©flĂ©chir Ă la façon dont une mĂŞme fiction est capable de mĂŞler leurs ingrĂ©dients de base, ce n’est pas seulement chercher s’il existe des romans historiques qui soient aussi des romans policiers, ni si les figures de l’historien et du dĂ©tective sont superposables. 3 El matadero » fut probablement Ă©crit en 1839 mais publiĂ© en 1871. 3Si nous ne retenons dans la catĂ©gorie des romans policiers que ceux qui suivent, de Poe Ă Chandler, les principaux modèles de la littĂ©rature anglo-saxonne, il sera assez facile de dĂ©crire le rapport qui s’y constitue entre Ă©nigme policière et Histoire, cette dernière y Ă©tant souvent une pièce rapportĂ©e. En servant de mode de dĂ©paysement, elle permet d’amplifier les effets produits sur le lecteur par l’exotisme des contrĂ©es lointaines. Ainsi, des sinistres mystères de Fu Manchu de l’écrivain Sax Rohmer au charme confucĂ©en du juge Ti de Van Gulik, on passe d’une vision paranoĂŻaque du pĂ©ril jaune – perçu par un homme moderne – au charme dĂ©licieux et raffinĂ© d’une Chine millĂ©naire – observĂ©e par un sinologue averti. D’un dĂ©placement sur l’unique dimension spatiale oĂą ne compte que le dĂ©paysement gĂ©ographique, on aboutit Ă un dĂ©placement sur la double coordonnĂ©e spatio-temporelle oĂą le jeu Ă©rudit renforce le simple exotisme. Alors que le dĂ©paysement et l’évasion, attributs qu’on prĂŞte volontiers Ă la para-littĂ©rature, semblent ĂŞtre, tels qu’ils s’appliquent au roman policier traditionnel, la principale fonction de l’exotisme, son redoublement par le voyage dans le passĂ© permet de donner Ă voir l’érudition de l’écrivain. On observera que la formule qui produit la saturation de la fiction policière par des donnĂ©es historiques et culturelles est un ressort souvent utilisĂ© dans les nouvelles de Borges. Exercice d’érudition ou mĂ©thode d’évasion, cette instrumentalisation de l’Histoire comme figure d’ornement, aussi raffinĂ©e soit-elle, ne trouble pas autant que le procĂ©dĂ© qui consiste Ă interroger l’Histoire Ă travers le fait criminel et qui caractĂ©rise certaines fictions argentines depuis El matadero »3 d’Esteban EcheverrĂa ou Amalia 1851 de JosĂ© Mármol. Dans le premier cas, l’Histoire est au service de l’énigme, dans le deuxième, elle en est le sujet. 4Au-delĂ de l’association ornementale entre les deux genres ou de l’analogie entre dĂ©tective et historien, il est donc nĂ©cessaire d’interroger plus profondĂ©ment le statut du crime et de l’évĂ©nement historique tel que la fiction est en mesure de les percevoir. ÉvĂ©nement et personnage 5Pour traiter du lien entre fiction policière et Histoire, il faut avant tout lever l’incertitude suivante parmi les mĂ©thodes susceptibles d’organiser la connaissance historique, laquelle offrira davantage de matière Ă la fiction ? En simplifiant et en ne tenant pas compte pour l’instant des solutions intermĂ©diaires propres aux Ă©volutions les plus rĂ©centes de la discipline, on peut retenir deux visions de l’Histoire 1 une vision moderne, issue des conceptions de François Simiand et de l’école des Annales, oĂą la sĂ©rie complexe des faits quantifiables et la somme de gestes innombrables et anonymes recouvrent l’évĂ©nement particulier et fournissent une comprĂ©hension vaste et globale ; 2 une vision traditionnelle oĂą une Ă©loquente mise en rĂ©cit fait seul subsister l’évĂ©nement remarquable en retenant par-dessus tout l’action du grand homme, l’alea jacta est d’un CĂ©sar. 6L’histoire des pratiques sociales et des mentalitĂ©s, ou l’histoire des batailles ». Cette question sur la discipline conduit Ă celle concernant l’agent historique. Si on ne retient en effet que l’évĂ©nement Ă©clatant, on cherchera les individus qui l’auront provoquĂ© ClĂ©opâtre, Jeanne d’Arc, NapolĂ©on, BolĂvar…, si possible de grandes figures auxquelles on prĂŞtera une capacitĂ© d’action exemplaire, parfois magique. Ă€ l’inverse, si on n’observe que la sĂ©rie complexe, alors on portera Ă la lumière des tendances et des donnĂ©es derrière lesquelles la personne ne sera discernable que sous la forme d’une moyenne statistique. Il n’est pas douteux que la fiction prĂ©fère s’inscrire dans la conception traditionnelle de l’Histoire car elle pourra alors se saisir de personnages et d’évĂ©nements nĂ©cessaires Ă la construction de l’énigme romanesque. Notons que Roland Barthes, afin de rĂ©vĂ©ler la parentĂ© reliant les deux formes de discours, ne se base pas sur les vastes abstractions produites par l’école des Annales mais sur le grand rĂ©cit historique Ă©laborĂ© par Augustin Thierry au XIXe siècle. 7Antoine Prost nous Ă©claire davantage sur la perception de l’évĂ©nement et du sujet par le rĂ©cit 4 Antoine Prost, Les pratiques et les mĂ©thodes », Sciences humaines, Hors sĂ©rie, n° 18, septembre ... Tous les sujets […] ne se valent part, tous n’ont pas la mĂŞme pertinence historique savoir qui Ă©tait le masque de fer importe peu Ă la connaissance historique, mĂŞme si l’on peut Ă©crire un texte très neuf sur le masque de fer comme symbole, en le replaçant dans la sĂ©rie des prisonniers majeurs et des usages de la mise au secret, ce qui serait un sujet historique important.[…] Que l’historien soit de son temps et de son pays et qu’il s’adresse Ă ses contemporains ici et maintenant l’oblige, s’il veut trouver des lecteurs, Ă s’interroger sur la pertinence sociale de ses sujets. Il en est d’insignifiants et de futiles, et d’autres majeurs. C’est souvent la diffĂ©rence entre la littĂ©rature de gare et l’histoire 8Aujourd’hui, la dĂ©marche de l’historien et celle du romancier paraissent donc symĂ©triquement opposĂ©es le fait curieux est aux yeux du premier une donnĂ©e Ă insĂ©rer dans une sĂ©rie tandis que le second, mĂŞme s’il ne verse pas dans la littĂ©rature de gare, y voit une anecdote exemplaire mĂ©ritant de subir une hypertrophie narrative. 9Au XXe siècle, l’Histoire a donc tournĂ© le dos Ă l’individu, au cas particulier et unique pour se pencher sur de vastes sĂ©ries, creusant ainsi la distance qui la sĂ©parait des rĂ©cits imaginaires. Cependant les mĂ©thodes inaugurĂ©es par la micro-histoire indiquent que ce mouvement n’est pas indispensable Ă l’objectivitĂ© scientifique de la discipline historique. En s’intĂ©ressant au meunier Menocchio, ĂŞtre unique mais assez marginal dont la biographie ne pouvait illustrer ni de vastes phĂ©nomènes sociaux ni servir la Grande Histoire, Carlo Ginzburg a dĂ©montrĂ© tout l’enseignement historique que l’on pouvait tirer de la parole d’un homme du peuple. DĂ©fendant un tel procĂ©dĂ©, l’historien suggère qu’il existe des motivations idĂ©ologiques au choix de la mĂ©thode historique, aussi pertinente soit-elle 5 Carlo Ginzburg, Le fromage et les vers. L’univers d’un meunier du XVIe siècle, Paris, Aubier, 198 ... Quand des Ă©quipes entières de chercheurs se lancent dans d’immenses entreprises d’histoire quantitative des idĂ©es ou d’histoire religieuse sĂ©rielle, proposer une enquĂŞte minutieuse sur un meunier peut sembler paradoxal et absurde […]. Il est symptomatique que la possibilitĂ© mĂŞme d’une pareille enquĂŞte ait Ă©tĂ© exclue d’avance par quelqu’un qui, comme F. Furet, a soutenu que la rĂ©intĂ©gration des classes infĂ©rieures dans l’histoire gĂ©nĂ©rale ne peut se faire que sous le signe du nombre et de l’anonymat », Ă travers la dĂ©mographie et la sociologie, et l’étude quantitative des sociĂ©tĂ©s du passĂ© ». MĂŞme si les historiens ne les ignorent plus, les classes infĂ©rieures seraient de toute façon condamnĂ©es Ă rester silencieuses ».5 10Plus loin, Carlo Ginzburg indique que dans certains cas l’individu mĂ©diocre peut renseigner sur un groupe social 6 Ibidem., p. 16. Des Ă©tudes biographiques ont dĂ©montrĂ© que chez un individu mĂ©diocre, en lui-mĂŞme privĂ© de relief et pour cette raison prĂ©cisĂ©ment reprĂ©sentatif, on peut observer comme dans un microcosme les caractĂ©ristiques d’une entière couche sociale Ă une Ă©poque historique donnĂ©e […].6 11C’est dire que la micro-histoire n’abandonne pas la sĂ©rie pour retourner au grand homme visĂ© par l’histoire traditionnelle. Elle se penche plutĂ´t sur l’insignifiant parce qu’en tant que tel, il exprime la moyenne des choses banales. Ă€ ce stade, observons qu’une concordance singulière se fait jour entre la question soulevĂ©e par la place de l’individu et du sujet en Histoire et celle touchant au personnage romanesque et Ă la règle littĂ©raire des styles. Selon cette dernière, dont Erich Auerbach a analysĂ© les fluctuations au cours des siècles, le grave, le tragique, le grand personnage ne sauraient Ă l’origine ĂŞtre dĂ©crits que par un discours aristocratique excluant le laid et le misĂ©rable. Ă€ l’inverse, la rĂ©alitĂ© crue et les personnages vils ne peuvent prĂŞter qu’à la comĂ©die. En comparant son art Ă ceux de Boileau ou de Molière, Auerbach dĂ©crit comment La Bruyère dĂ©jĂ renonce Ă la règle des styles pour dĂ©crire le misĂ©rable sĂ©rieusement 7 Erich Auerbach, MimĂ©sis, la reprĂ©sentation de la rĂ©alitĂ© dans la littĂ©rature occidentale, Paris, ... Des pensĂ©es de cet ordre ne viennent ni Ă Molière ni Ă Boileau, et l’un comme l’autre se garderait de les exprimer. Elles transgressent les limites de ce que Boileau nomme l’agrĂ©able et le fin ; non pas parce qu’elles constituent de grands sujets elles ne sont pas cela, dans l’optique du siècle, mais parce que, traitant d’un sujet quotidien et contemporain d’une manière trop concrète et sĂ©rieuse, elles lui confèrent plus de poids que ne le permet l’ 12Si la grande histoire du XIXe siècle s’intĂ©resse Ă des hĂ©ros Ă caractère Ă©pique, l’histoire des sĂ©ries annule l’individu Ă la façon du nouveau roman tandis que la micro-histoire exhume des anti-hĂ©ros absolus. Et quel hĂ©ros est-il plus anti » que celui du polar ? LĂ oĂą l’on croyait voir surgir de profondes divergences entre l’historien et le romancier contemporains se dressent de nouvelles passerelles, chacun en effet Ă©tant tributaire des reprĂ©sentations intellectuelles produites par la sociĂ©tĂ© Ă laquelle il appartient et qui attribuent Ă l’individu, soit-il sujet historique ou personnage de fiction, des caractères dĂ©terminĂ©s. Histoire lointaine et expĂ©rience rĂ©cente 8 Que ce soit Ă travers la consultation de manuels savants ou en actualisant l’imprĂ©gnation que l’h ... 13Ces nouvelles analogies admises, il faudra chercher ailleurs la distance indispensable au maintien diffĂ©rentiel de ces deux formes de rĂ©cit. Constatons Ă ce propos que le romancier ne peut lire l’histoire que dans le travail des historiens8 oĂą il puise des informations qu’il réélabore quelquefois au point de les rendre mĂ©connaissables. On dira dès lors – et dans ce rapport de succession se trouve une diffĂ©rence indiscutable – que la recherche historique prĂ©cède l’œuvre de fiction. L’Histoire se prĂ©sente donc comme un rĂ©cit maĂ®tre et la fiction historique comme son commentaire ou comme le jeu des variations poĂ©tiques pouvant lui ĂŞtre appliquĂ©es. Ainsi, lorsque Di Benedetto Ă©crit Zama 1956, il a certainement sous la main un certain nombre de donnĂ©es provenant d’élaborations historiographiques diverses qui lui permettent de verser la trame fictionnelle dans un contexte historique prĂ©cis, celui de la vice-royautĂ© du RĂo de La Plata. Dans les nations comme l’Argentine oĂą le culte des hĂ©ros et des grands gestes fondateurs est transmis aux enfants dès l’école primaire, l’intĂ©riorisation de cette histoire officielle est sans doute un fait Ă considĂ©rer dans la genèse des rĂ©cits historiques produits par les romanciers. Dans tous les cas cependant, l’écrivain est redevable Ă l’Histoire des figures qu’il met en scène. Mais que penser Ă l’inverse des rĂ©cits qui rapportent des Ă©vĂ©nements rĂ©cents dont l’auteur lui-mĂŞme aura pu ĂŞtre tĂ©moin ou acteur ? Quand il s’agit de faits problĂ©matiques inscrits dans un contexte de crise que l’historien du temps prĂ©sent ne peut observer avec toute la sĂ©rĂ©nitĂ© nĂ©cessaire Ă sa recherche, alors le travail fictionnel est en mesure de jouer un rĂ´le inaugural. L’exemple d’un tel phĂ©nomène se trouve dans l’Argentine soumise, de 1976 Ă 1983, Ă la dictature militaire. Sous les effets de la censure et de la rĂ©pression, alors que les Ă©crivains pouvaient encore recourir Ă la mĂ©taphore pour avancer les premiers Ă©lĂ©ments de comprĂ©hension de la rĂ©alitĂ© politique, les historiens Ă©taient dans l’incapacitĂ© de proposer une analyse critique qui risquait d’éveiller la mĂ©fiance très rĂ©active d’autoritĂ©s paranoĂŻaques. Lisons ce qu’écrit AndrĂ©s Avellaneda Ă propos de la littĂ©rature argentine de cette Ă©poque 9 Para pensar la narrativa argentina en el marco de la dictadura militar terrorista conviene inve ... Pour envisager la fiction argentine dans le cadre de la dictature militaire terroriste, il convient d’inverser les termes de la relation entre les textes et l’histoire cette dernière n’est pas un rĂ©cit tuteur qui gĂ©nère les premiers, mais au contraire, la comprĂ©hension des faits que nous appelons histoire dĂ©pend probablement des formes de textualisation que nous nommons littĂ©rature. L’étape sinistre de la dictature […] reste vide de sens jusqu’à ce que les inscriptions symboliques des discours viennent la remplir [...].9 14C’est Ă ce travail de comprĂ©hension que vont procĂ©der des auteurs comme JosĂ© Pablo Feinmann ou Ricardo Piglia en employant le registre policier pour rendre compte de la violence politique exercĂ©e par la dictature. Relevons ces propos de Feinmann 10 […] a partir del golpe militar no se podĂa publicar nada que oliera mĂnimamente a intercambio d ... […] Ă partir du coup d’état militaire on ne pouvait rien publier qui ressemblât de près ou de loin Ă un Ă©change d’idĂ©es. Je songeai alors qu’il fallait publier au moins quelque chose qui rendĂ®t compte des Ă©preuves traversĂ©es par ma gĂ©nĂ©ration la violence effrĂ©nĂ©e. C’est comme ça que s’impose le roman policier ; le crime y est inhĂ©rent au genre, l’assassinat fait partie de sa lĂ©galitĂ© interne. C’est le genre idĂ©al pour parler du crime et de la violence […].10 11 Voir Tulio HalperĂn Donghi, El presente transforma el pasado el impacto del reciente terror e ... 15On peut dĂ©duire de l’ensemble de ces rĂ©flexions que le roman argentin, et en particulier le roman policier, a permis de rendre compte des traits les plus problĂ©matiques de l’histoire immĂ©diate avant toute autre discipline. Ă€ ce titre, il est intĂ©ressant de noter l’intĂ©rĂŞt que l’historien Tulio HalperĂn Donghi a portĂ© Ă la littĂ©rature de cette pĂ©riode au moment oĂą, la dĂ©mocratie restaurĂ©e, il devenait possible de retrouver la distance objective nĂ©cessaire Ă l’analyse historique11. De l’expĂ©rience individuelle Ă l’expĂ©rience collective 16Cette rĂ©versibilitĂ© des rapports de comprĂ©hension entre Histoire et fiction appliquĂ©e aux Ă©vĂ©nements rĂ©cents ne doit pas conduire Ă confondre les pĂ©ripĂ©ties fictionnelles et celles historiques rapportĂ©es par le roman. Le lecteur bien renseignĂ© et possĂ©dant une encyclopĂ©die historique convenable saura en effet distinguer ces deux catĂ©gories. Si quelques doutes subsistent, le recours Ă un manuel permettra de dĂ©partager l’invention pure de la documentation vraie ; Ă moins que l’auteur lui-mĂŞme ne prenne soin de vanter l’exactitude des faits racontĂ©s. Mais cette dĂ©marche, quand elle se trouve dans un roman policier, est suspecte. Dans Plata quemada 1997 par exemple, Ricardo Piglia prĂ©sente comme vrais des Ă©vĂ©nements imaginaires. C’est d’ailleurs le propre de tels rĂ©cits – depuis qu’Edgar Allan Poe a fait paraĂ®tre vĂ©ridique l’affaire de la rue Morgue en citant une certaine Gazette des tribunaux – que d’insister, au moyen de l’article de journal, sur la rĂ©alitĂ© des faits criminels qui y sont dĂ©crits. 17Cette illusion du rĂ©el constamment entretenue par le roman policier pose le problème de l’historicitĂ© des faits rapportĂ©s par la fiction puisque le roman dĂ©signe comme agents, acteurs ou victimes des Ă©vĂ©nements qu’il choisit d’illustrer, des personnages auxquels il attribue des prĂ©dicats dĂ©terminĂ©s, comment les Ă©vĂ©nements vĂ©cus par ces personnages dans leur sphère individuelle peuvent-ils ĂŞtre reconnus par le lecteur comme historiques » ? Il s’agit d’évoquer ici le passage de l’expĂ©rience individuelle Ă l’expĂ©rience collective, le moment oĂą l’aventure d’un individu, mĂŞme fictionnel, s’inscrit dans l’aventure collective d’une nation telle qu’elle est documentĂ©e par la chronique historique. Pour susciter ce glissement, suffit-il Ă l’écrivain de dresser une toile de fond, la toile des faits collectifs et politiques, sur laquelle le vĂ©cu de chaque personnage se dĂ©tacherait ? C’est effectivement ce que font certains auteurs. Cependant, plutĂ´t que de constituer deux rĂ©cits parallèles, ils prĂ©fèrent souvent instaurer des plans convergents qui produisent, Ă certains moments clĂ©s et au dĂ©nouement en particulier, la rencontre du personnage et de l’évĂ©nement historique. Tel est le cas d’un modèle du roman français, Les Thibault, qui dĂ©crit d’abord la vie des frères dans le cadre de la famille et des proches, et finit par raconter comment l’Histoire les engloutit dans le sacrifice insensĂ© de la Grande Guerre. Dans ce procĂ©dĂ©, Ă©galement fonctionnel dans La casa de los espĂritus 1982 d’Isabel Allende ou El siglo de las luces 1962 d’Alejo Carpentier, l’Histoire est observĂ©e comme une fatalitĂ© meurtrière, et le meurtre dont il est question est collectif. 18Donc, d’un cĂ´tĂ© le personnage dans son cadre de vie habituel, dĂ©limitĂ©, d’un autre l’abstraction des grands Ă©vĂ©nements historiques, et au bout du rĂ©cit la rencontre des deux par la matĂ©rialisation du fait historique dans l’existence du personnage qui le subit comme un dĂ©sastre. Malheureusement, ces observations ne peuvent s’appliquer de façon identique Ă la saga familiale et au roman policier. Si dans le domaine de la rĂ©alitĂ© objective l’Histoire consiste Ă dĂ©crire une communautĂ© Ă un moment donnĂ© de son dĂ©veloppement, la fresque familiale est en mesure d’en faire autant dans le domaine de la fiction, la famille Ă©tant une sorte de microcosme social qui peut rendre compte des Ă©volutions Ă travers la succession gĂ©nĂ©rationnelle. Rien de plus naturel alors que d’inscrire la saga dans l’Histoire. La rencontre de l’expĂ©rience individuelle des personnages avec l’évĂ©nement historique y devient un aboutissement logique. 19Sans doute, des romans comme RespiraciĂłn artificial de Ricardo Piglia et Papel picado de Rolo Diez s’efforcent-ils de conjuguer l’aspect gĂ©nĂ©rationnel au roman noir, d’oĂą le souci d’y rendre compte d’hĂ©ritages intellectuels ou familiaux par ailleurs assez chaotiques. Mais en principe le rĂ©cit policier est Ă l’opposĂ© du modèle offert par la saga familiale. Ses personnages sont des solitaires, des marginaux, et cela est vrai aussi bien pour l’enquĂŞteur que pour le criminel ou la victime. MĂŞme si l’on ne manque pas de rĂ©pĂ©ter que le roman noir offre une radiographie de la sociĂ©tĂ©, son aspect documentaire est si brutalement exposĂ© qu’il a rarement assez de profondeur pour autoriser une comprĂ©hension historique complexe. Aussi les motivations et les mouvements des personnages y sont-ils souvent secrets, impossibles Ă corrĂ©ler Ă une vaste action collective. ExpĂ©rience collective et perception publique du crime 20Il faut constater qu’à l’encontre de cette dernière affirmation, le rĂ©cit romanesque latino-amĂ©ricain lie souvent crime et Histoire en s’intĂ©ressant Ă la conspiration politique. Dès 1851, Amalia de JosĂ© Mármol inaugure un rĂ©cit de conjuration qui atteindra avec Los siete locos 1929 de Roberto Arlt un haut degrĂ© de pertinence esthĂ©tique. Avec La ciudad ausente 1992, Ricardo Piglia, qui ne cache pas sa dĂ©votion envers Roberto Arlt, Ă©labore le rĂ©cit d’une machination fantastique dans lequel l’Histoire n’est plus seulement utilisĂ©e comme catalogue oĂą puiser des anecdotes mais comme discipline intellectuelle gĂ©nĂ©rant des discours idĂ©ologiques, enjeux de la lutte qui oppose l’autoritĂ© aux Ă©lĂ©ments subversifs. Plus rĂ©cemment encore, La fiesta del Chivo 2000 de Vargas Llosa montre que l’atmosphère policière suggĂ©rĂ©e par le complot politique parvient Ă soutenir un rĂ©cit historique. Mais ces romans sont-ils encore, Ă proprement parler, des romans policiers ? Le caractère vaste et indĂ©terminĂ© avec lequel la fiction mĂ©diatise le crime peut conduire Ă embrasser trop largement l’ensemble des rĂ©cits criminels en leur attribuant artificiellement l’étiquette de romans policiers. Or il est difficile d’échapper Ă cette difficultĂ© depuis que la littĂ©rature savante s’est saisie du genre policier, non pour s’y fondre entièrement, mais afin de l’articuler de façon dynamique Ă d’autres modalitĂ©s d’écritures. Ce mouvement caractĂ©rise le souci, maintenant bien documentĂ© et incarnĂ© entre autres par Manuel Puig ou Ricardo Piglia, de verser des modes considĂ©rĂ©s comme marginaux cinĂ©ma populaire, feuilleton… dans des rĂ©cits savants ayant recours Ă l’hybridation des genres et des modes, Ă la fragmentation narrative et Ă l’expansion du plurilinguisme. Nous pouvons conjecturer que cette Ă©volution a rĂ©troagi sur le regard que l’on portait sur le roman policier, d’une part en l’anoblissant, d’autre part en contribuant Ă confondre ses frontières gĂ©nĂ©riques. Ces modifications ont affectĂ© l’équilibre du système architextuel traditionnel et entretiennent la confusion dont nous hĂ©ritons aujourd’hui, confusion qui a le mĂ©rite au moins de stimuler notre rĂ©flexion. Acceptons donc l’idĂ©e que le rĂ©cit policier rencontre une de ses nombreuses formes de matĂ©rialisation dans le rĂ©cit de conjuration. Lorsque grâce Ă ce dernier le crime n’est plus une affaire de passions ou de dĂ©sirs privĂ©s mais une affaire politique, le destin de l’individu qui y est impliquĂ© devient solidaire de celui de la nation. Dès lors l’expĂ©rience reprĂ©sentĂ©e par un personnage dĂ©terminĂ© se mĂŞle au fait historique et Ă l’expĂ©rience collective. Dans Structure du fait divers », Roland Barthes oppose justement le meurtre politique au fait divers 12 Roland Barthes, Structure du fait divers », Essais critiques, Paris, Ă©ditions du Seuil, 1964, p ... Voici un assassinat s’il est politique, c’est une information, s’il ne l’est pas, c’est un fait divers. […] Cette diffĂ©rence apparaĂ®t tout de suite lorsque l’on compare nos deux assassinats ; dans le premier l’assassinat politique, l’évĂ©nement le meurtre renvoie nĂ©cessairement Ă une situation extensive qui existe en dehors de lui, avant lui et autour de lui la politique » ; l’information ne peut ici se comprendre immĂ©diatement, elle ne peut ĂŞtre dĂ©finie qu’à proportion d’une connaissance extĂ©rieure Ă l’évĂ©nement, qui est la connaissance politique […]. [L’assassinat politique] n’est jamais que le terme manifeste d’une structure implicite qui lui prĂ©existe pas d’information politique sans durĂ©e, car la politique est une catĂ©gorie trans-temporelle […].12 21L’inscription du crime politique dans l’histoire tient donc de la nĂ©cessitĂ© alors que 13 Ibidem., p. 189. le fait divers, au contraire, est une information totale, ou plus exactement, immanente ; il contient en soi tout son savoir point besoin de connaĂ®tre rien du monde pour consommer un fait divers […].13 22Ce souci de remonter les causes historiques du crime politique afin de le comprendre anime en particulier RespiraciĂłn artificial de Ricardo Piglia qui dĂ©crit le destin de gĂ©nĂ©rations entières de proscrits argentins celle de 1837 aussi bien que celle de 1976 Ă travers des personnages dont la marginalitĂ© permet d’évoquer une histoire hĂ©tĂ©rodoxe, opposable Ă l’histoire officielle. 23Ă€ ce stade, nous ne pouvons nous arrĂŞter Ă ces considĂ©rations sans Ă©voquer l’instrument indispensable Ă l’enregistrement de cette expĂ©rience collective la mĂ©moire. Ă€ son sujet, Paul RicĹ“ur Ă©crit 14 Paul RicĹ“ur, La mĂ©moire, l’histoire, l’oubli, Paris, Ă©ditions du Seuil, 2000, p. 161. Entre les deux pĂ´les de la mĂ©moire individuelle et de la mĂ©moire collective, n’existe-t-il pas un plan intermĂ©diaire de rĂ©fĂ©rence oĂą s’opèrent concrètement les Ă©changes entre la mĂ©moire vive des personnes individuelles et la mĂ©moire publique des communautĂ©s auxquelles nous appartenons ? Ce plan est celui de la relation aux proches, Ă qui nous sommes en droit d’attribuer une mĂ©moire d’un genre 24Cette idĂ©e de proximitĂ© et donc de transfert par palier de l’individu Ă la communautĂ© permet de prĂ©ciser les opĂ©rations nĂ©cessaires au partage de la mĂ©moire qui donneront forme Ă l’expĂ©rience collective. Trois de ces opĂ©rations sont facilement discernables 1 celle produite par la compassion, 2 celle produite par la gĂ©nĂ©ralisation, et 3 celle de retour vers les origines qui aboutit Ă la construction d’une image des ancĂŞtres communs. 25La capacitĂ© Ă compatir indique mon aptitude Ă partager, virtuellement, l’expĂ©rience d’autrui, expĂ©rience que je peux ne pas avoir vĂ©cu. Ce mouvement de moi vers l’autre porte en germe l’idĂ©e de souci collectif. Il indique que je suis capable d’élaborer une construction discursive qui m’autorise Ă m’approprier cette expĂ©rience Ă©trangère. Mais si je compatis, c’est que l’on m’inspire, Ă moi, de la compassion dans un processus dynamique d’échange et de dialogue. Observons enfin que le sentiment de compassion, s’il est encouragĂ© par un contexte social conflictuel, conduira Ă l’engagement. Ce dernier stimulera la recherche des rĂ©ponses idĂ©ologiques qui permettront de combattre certaines idĂ©es gĂ©nĂ©ratrices d’iniquitĂ©s et de mettre un terme Ă la souffrance collective. 26Au moyen de la gĂ©nĂ©ralisation, un fait particulier est rapportĂ© Ă d’autres faits similaires jusqu’à composer une sĂ©rie vaste et reprĂ©sentative d’un fait de sociĂ©tĂ©, par exemple la rĂ©cente et mĂ©diatique affaire Cantat-Trintignant rapportĂ©e Ă la catĂ©gorie sociologique femme battue et homme violent ». Notons qu’il est peu probable qu’au XVIIe siècle on ait eu conscience de l’existence d’une telle catĂ©gorie, quand bien mĂŞme de nombreuses femmes fussent battues. Le système de gĂ©nĂ©ralisation dĂ©pendra donc du regard social tel qu’il est formĂ© – pour chaque pĂ©riode – par les modalitĂ©s de production des opinions publiques. 27Compassion et gĂ©nĂ©ralisation permettent de transposer des phĂ©nomènes individuels en phĂ©nomènes collectifs. Elles rendent communs Ă tous les membres prĂ©sents de la communautĂ© l’ensemble de leurs ancĂŞtres, d’autant que la distance temporelle finit par fondre l’histoire des origines familiales dans l’indĂ©termination de l’histoire collective. De plus, la compassion ouvre Ă la comprĂ©hension de l’expĂ©rience des temps passĂ©s ainsi qu’à la possibilitĂ© de la raconter. En ce sens il est frappant de voir comment les reprĂ©sentations historiques adressĂ©es au grand public s’efforcent de rapprocher, par la description de la vie quotidienne, l’expĂ©rience des ancĂŞtres Ă la nĂ´tre. C’est dans le passage du singulier au pluriel, sous les effets de la gĂ©nĂ©ralisation et de la compassion, qu’apparaĂ®t au jour la possibilitĂ© de mettre en mĂ©moire et de raconter une histoire collective. 15 Au sujet de l’évĂ©nement, et plus prĂ©cisĂ©ment du fait divers, voir encore Roland Barthes, Struct ... 28Le journalisme a montrĂ© depuis longtemps que les rĂ©cits de crimes, en tant qu’évĂ©nements inspirant de la compassion et ayant une signification sociale pouvant soutenir le processus de gĂ©nĂ©ralisation, bĂ©nĂ©ficiaient d’une vaste rĂ©ception populaire. L’importance que la communautĂ© attribue Ă chaque victime particulière et Ă son bourreau, affectĂ©e du trouble suscitĂ© par les circonstances du crime, tout cela dĂ©termine la portĂ©e publique de l’évĂ©nement criminel. Ainsi, si un coup de couteau dans le ventre d’une prostituĂ©e ne suscitera malheureusement guère d’intĂ©rĂŞt, par contre la boucherie minutieuse subie par plusieurs d’entre elles a donnĂ© naissance au sinistre mythe de Jack l’Éventreur. Pensons Ă©galement aux affaires Carlos MonzĂłn – cĂ©lèbre boxeur argentin qui dĂ©fenestra sa femme – et O. J. Simpson – populaire joueur de base-ball nord-amĂ©ricain soupçonnĂ© d’avoir tuĂ© sa femme et son amant – largement mĂ©diatisĂ©es du fait de la notoriĂ©tĂ© des assassins. Pour qu’il y ait donc Ă©vĂ©nement dans le domaine du crime, il faut respecter un dosage, sans doute variable mais oĂą il est impossible que tous les ingrĂ©dients soient en quantitĂ© minimale, entre le nombre de victimes, leur importance sociale, la cĂ©lĂ©britĂ© du bourreau et le degrĂ© d’aberration de l’assassinat. Ce sont ces mĂŞmes ingrĂ©dients qui rendront le rĂ©cit journalistique du meurtre plus ou moins intĂ©ressant. On peut donc conclure qu’il y a Ă©vĂ©nement criminel quand il y a possibilitĂ© d’en tirer un rĂ©cit captivant15. Cependant, si Ă l’origine du genre littĂ©raire policier l’extrĂŞme singularitĂ© des affaires criminelles Ă©tait affichĂ©e pour justifier qu’elles servent de sujet au rĂ©cit, depuis l’apparition du roman noir l’intĂ©rĂŞt ne porte plus sur le crime lui-mĂŞme, souvent assez banal, mais sur son contexte social ainsi que sur une galerie de personnages forts et ambiguĂ«s Marlow, Spade, Hammer…, impliquĂ©s dans des duels souvent picaresques. 29Observons que le roman latino-amĂ©ricain, en s’intĂ©ressant au crime d’État, se rĂ©fère Ă des Ă©vĂ©nements criminels rĂ©els oĂą les victimes sont nombreuses. Nous nous trouvons alors dans un système oĂą presque tous les ingrĂ©dients nĂ©cessaires Ă la narrativitĂ© du crime se trouvent Ă un degrĂ© maximal très grande quantitĂ© de victimes 30 000 pour l’Argentine entre 1976 et 1983, notoriĂ©tĂ© des bourreaux gĂ©nĂ©raux, amiraux, prĂ©sidents… et atrocitĂ© du modus operandi sĂ©questrations barbares, tortures sauvages, enlèvement d’enfants…. Bien entendu le roman, Ă l’inverse du manuel d’histoire, ne traitera ce crime collectif qu’à travers l’échantillon, mais le lecteur ne manquera jamais d’avoir en tĂŞte le contexte gĂ©nĂ©ral dont Roland Barthes disait qu’il Ă©tait indispensable Ă la comprĂ©hension du crime politique. Estrella distante 1996 de Roberto Bolaño joue adroitement sur ce mode en insĂ©rant le parcours d’un bourreau particulier et de quelques unes de ses victimes dans le projet global de rĂ©pression Ă©laborĂ© par l’État chilien. Conclusion le crime politique dans le roman argentin 16 Quino, Bien chez soi, Luçon, Éditions Jacques GlĂ©nat, 1979, p. 39. 30La particularitĂ© du crime d’État, par rapport au crime crapuleux, c’est qu’il inverse les termes habituels de valorisation propres Ă la littĂ©rature policière ordinaire. Les institutions officielles, la police et l’armĂ©e ne sont plus des forces protectrices mais des puissances criminelles. La victime est un marginal, condamnĂ© Ă la clandestinitĂ©. Ni el tiro del final 1981 de JosĂ© Pablo Feinmann illustre ce renversement en dĂ©crivant la collusion entre militaires gradĂ©s et trafiquants de haut vol. Par ailleurs, comme le montre Quino en confrontant Sherlock Holmes au meurtre de masse16, les preuves et les indices du crime d’État appartiennent au domaine doctrinaire plutĂ´t qu’au domaine matĂ©riel et seront recueillis par une analyse du discours ou dĂ©noncĂ©s au moyen de la mĂ©taphore. C’est ainsi que Piglia dĂ©busque le crime totalitaire dans RespiraciĂłn artificial oĂą la rĂ©pression dictatoriale est indirectement Ă©voquĂ©e par l’analyse rĂ©pĂ©tĂ©e de discours littĂ©raires et de discours nazis, mis en relation Ă©troite. Faute d’empreinte digitale, la preuve de l’assassinat de masse est apportĂ©e par un Kafka ayant eu la prĂ©monition du gĂ©nocide raciste, et un Hitler exaltĂ© dictant Mein Kampf Ă ses disciples. 17 C’est par cette expression anglo-saxonne que JosĂ© Emilio Pacheco caractĂ©rise le rĂ©cit de Walsh. J ... 31Aussi, l’idĂ©ologie, qui apparaissait dans les romans policiers traditionnels comme une couche secondaire, surgit-elle Ă la surface de ces Ĺ“uvres saisissant politique et Histoire comme sujets centraux. Ce nĹ“ud idĂ©ologique peut se resserrer davantage encore du fait que la compassion suscite l’éveil et l’engagement politique. Il s’ensuit que l’écriture devient souvent le rĂ©sultat d’une nĂ©cessitĂ© urgente et scandalisĂ©e Ă tĂ©moigner contre les abus criminels du pouvoir. Telle est par exemple la motivation qui gouverne OperaciĂłn masacre 1957 de Rodolfo Walsh, prototype de non-fiction novel »17 qui dĂ©nonce sur le mode de l’enquĂŞte journalistique un vrai crime planifiĂ© par les autoritĂ©s. 32Quasiment depuis ses origines, la littĂ©rature argentine attribue Ă la violence un caractère politique qui permet Ă l’auteur d’afficher la dĂ©termination de son engagement. Ainsi en est-il de la dĂ©nonciation des fĂ©dĂ©raux dans Amalia de JosĂ© Mármol, de celle des autoritĂ©s dans l’œuvre de Roberto PayrĂł, de Eduardo GutiĂ©rrez ou de JosĂ© Hernández, de celle de la police antipĂ©roniste dans Adán Buenosayres 1948 de Leopoldo Marechal, de celle des militaires dans OperaciĂłn masacre de Rodolfo Walsh ou Cuarteles de invierno 1983 de Osvaldo Soriano… Ces romans produisent un système de dĂ©nonciation qui encourage le lecteur Ă prendre partie pour un personnage contre les autres le juste contre l’injuste, l’intègre contre le corrompu, l’honnĂŞte contre le malhonnĂŞte, le courageux solitaire contre les puissants abusifs et lâches, le martyr contre les bourreaux… La valorisation dichotomique du rĂ©seau actantiel, de mĂŞme qu’elle rappelle celle en Ĺ“uvre dans le roman policier traditionnel, s’inscrit dans le dĂ©bat politique et fait de l’Histoire un champ de bataille. De façon inaugurale, El matadero » d’Esteban EcheverrĂa qui raconte le meurtre d’un vertueux unitaire par des fĂ©dĂ©raux barbares signifie bien, dès la première phrase, ce rapport entre violence, politique et Histoire 18 A pesar de que la mĂa es historia, no la empezarĂ© por el arca de NoĂ© y la genealogĂa de sus asc ... Bien que ce rĂ©cit appartienne Ă l’histoire, je ne l’ouvrirai pas en remontant Ă l’arche de NoĂ© ni Ă la gĂ©nĂ©alogie de ses ascendants comme avaient coutume de le faire les anciens historiens espagnols d’AmĂ©rique qui doivent nous servir d’ 33Le premier grand rĂ©cit fictionnel de la littĂ©rature argentine Ă©tablit un prĂ©cĂ©dent qui s’érigera bientĂ´t en archĂ©type. Le scandale produit par l’abus de pouvoir, la compassion envers une victime dont les qualitĂ©s intellectuelles et morales facilitent l’identification au lecteur, la diabolisation des bourreaux selon des procĂ©dĂ©s très divers qui vont de la dĂ©nonciation directe, prĂ©sente dans l’œuvre de Soriano, Ă celle mĂ©taphorique de Piglia, le meurtre impuni qui dĂ©noue un rĂ©cit pessimiste... tels sont les caractères qui dominent un roman argentin imprĂ©gnĂ© par le discours gĂ©nĂ©rique propre au rĂ©cit policier. Ils dĂ©terminent une vision criminelle de l’Histoire argentine dont ils rapportent la violence, les injustices et les conflits sanglants. Rappelons, pour conclure, cette affirmation de Roberto Anglade 19 En paĂses como el nuestro, la polĂtica no ha sido casi nunca un asunto civilizado ; en vez de e ... Dans des pays comme le nĂ´tre, la politique n’a presque jamais Ă©tĂ© une affaire civilisĂ©e ; au lieu de l’étudier depuis un canon culturel, il faudrait la considĂ©rer comme un chapitre du crime affirme Roberto Anglade. Haut de page Notes 1 Propos recueillis par François GuĂ©rif, Magazine littĂ©raire, n° 344, juin 1996, pp. 53-54. 2 Voir Claude LĂ©vi-Strauss, La pensĂ©e sauvage, Paris, Librairie Plon, 1985, pp. 306-307 et Roland Barthes, Le bruissement de la langue, Paris, Éditions du Seuil, 1984, p. 166. 3 El matadero » fut probablement Ă©crit en 1839 mais publiĂ© en 1871. 4 Antoine Prost, Les pratiques et les mĂ©thodes », Sciences humaines, Hors sĂ©rie, n° 18, septembre/octobre 1997, pp. 9-10. 5 Carlo Ginzburg, Le fromage et les vers. L’univers d’un meunier du XVIe siècle, Paris, Aubier, 1980, traduit de l’italien par Monique Aymard, p. 15. 6 Ibidem., p. 16. 7 Erich Auerbach, MimĂ©sis, la reprĂ©sentation de la rĂ©alitĂ© dans la littĂ©rature occidentale, Paris, Gallimard, 1968, traduit de l’allemand par Cornelius Heim, p. 371. 8 Que ce soit Ă travers la consultation de manuels savants ou en actualisant l’imprĂ©gnation que l’histoire officielle exerce sur la culture des citoyens grâce Ă l’instruction scolaire et au discours dominant. 9 Para pensar la narrativa argentina en el marco de la dictadura militar terrorista conviene invertir los tĂ©rminos de la relaciĂłn entre los textos y la historia no es Ă©sta un relato maestro que provoque la gĂ©nesis de aquellos, sino que, por el contrario, es muy posible que de las textualizaciones que llamamos literatura dependa la comprensiĂłn de los hechos que denominamos historia. La siniestra etapa de la dictadura […] es un sentido que permanece vacante hasta que empieza a ser llenado por las inscripciones simbĂłlicas de los discursos […]. » AndrĂ©s Avellaneda, Lecturas de la historia y lecturas de la literatura en la narrativa argentina de la dĂ©cada del ochenta », in Adriana Bergero et Fernando Reati Ă©d., Memoria colectiva y polĂticas del olvido. Argentina y Uruguay, 1970-1990, Buenos Aires, Beatriz Viterbo Editora, 1997, p. 141. C’est moi qui traduis, de mĂŞme que les autres citations tirĂ©es d’auteurs argentins. 10 […] a partir del golpe militar no se podĂa publicar nada que oliera mĂnimamente a intercambio de ideas. Entonces pensĂ© que algo tenĂa que escribir, pero algo que diera testimonio de lo que habĂa padecido mi generaciĂłn la violencia desenfrenada. Y aparece la novela policial ; en ella el crimen es inherente al gĂ©nero, el asesinato forma parte de su legalidad interna. Es el gĂ©nero ideal para hablar del crimen y la violencia […] ». Any Ventura, Todo lo que es quĂmica es polĂtica. Diálogo con el narrador JosĂ© Pablo Feinmann », ClarĂn, supplĂ©ment Cultura y NaciĂłn, 12/8/1982, pp. 2-3. 11 Voir Tulio HalperĂn Donghi, El presente transforma el pasado el impacto del reciente terror en la imagen de la historia argentina », in Hernán Vidal et RenĂ© Jara Ă©d., FicciĂłn y polĂtica, la narrativa argentina durante el proceso militar, Buenos Aires, Alianza Estudio, 1987, p. 71-95. 12 Roland Barthes, Structure du fait divers », Essais critiques, Paris, Ă©ditions du Seuil, 1964, pp. 188-189. 13 Ibidem., p. 189. 14 Paul RicĹ“ur, La mĂ©moire, l’histoire, l’oubli, Paris, Ă©ditions du Seuil, 2000, p. 161. 15 Au sujet de l’évĂ©nement, et plus prĂ©cisĂ©ment du fait divers, voir encore Roland Barthes, Structure du fait divers », op. cit., pp. 188-197. 16 Quino, Bien chez soi, Luçon, Éditions Jacques GlĂ©nat, 1979, p. 39. 17 C’est par cette expression anglo-saxonne que JosĂ© Emilio Pacheco caractĂ©rise le rĂ©cit de Walsh. JosĂ© Emilio Pacheco, Nota preliminar Rodolfo Walsh desde MĂ©xico », in Rodolfo Walsh, Obra literaria completa, MĂ©xico, Siglo xxi editores, 1981, p. 5. 18 A pesar de que la mĂa es historia, no la empezarĂ© por el arca de NoĂ© y la genealogĂa de sus ascendientes como acostumbraban hacerlo los antiguos historiadores españoles de AmĂ©rica que deben ser nuestros prototipos. » Esteban EcheverrĂa, El matadero », in JosĂ© Miguel Oviedo, AntologĂa crĂtica del cuento hispanoamericano del siglo XIX, Madrid, Alianza Editorial, 2001, p. 40. 19 En paĂses como el nuestro, la polĂtica no ha sido casi nunca un asunto civilizado ; en vez de estudiarla dentro de un canon cultural, habrĂa que verla como un capĂtulo del crimen organizado. » Roberto Anglade, Tiempo de no morir », in Sylvia Iparraguirre Ă©d., La cultura argentina. De la dictadura a la democracia, Cuadernos Hispanoamericanos, N° 517-519, julio-septiembre 1993, Madrid, p. de page Pour citer cet article RĂ©fĂ©rence papier JosĂ© Garcia-Romeu, Crime, Histoire et fiction », Cahiers d’études romanes, 15 2006, 81-96. RĂ©fĂ©rence Ă©lectronique JosĂ© Garcia-Romeu, Crime, Histoire et fiction », Cahiers d’études romanes [En ligne], 15 2006, mis en ligne le 15 janvier 2013, consultĂ© le 24 aoĂ»t 2022. URL ; DOI de page 5JdM6.